Challenges: Storefront « démocratise l’accès à l’immobilier commercial »

Grand Train, Friche Richard Lenoir, boutiques… l’éphémère est-il un business durable?

Boutiques, restaurants ou même lieux de vie. De nombreux espaces voient le jour pour quelques semaines, quelques jours ou même quelques heures. Devenu une vraie tendance ces dernières années, l’éphémère s’avère-t-il aussi un business amené à durer?

Qu’avez-vous fait ce week-end à Paris? Un tour à Noël à Grand Verger, le marché de Noël éphémère organisé par Ground Control? Du shopping dans la double boutique éphémère de Chanel dans le Marais? Ou bien êtes-vous allés manger perché dans les arbres des Champs-Elysées au restaurant éphémère Sosho? L’éphémère est décidément tendance. Des boutiques, restaurants ou lieux de vie, parfois semblant surfer sur une vague bobo, se créent l’espace de quelques semaines, quelques jours ou même simplement quelques heures. Et pas seulement à Paris. Un créneau sur lequel de nombreux acteurs se sont penchés.

Pour certains, l’éphémère est même devenu un phénomène à répétition. Noël à Grand Verger est ainsi la quatrième opération menée par Ground Control. Ground Control, c’est ce bar éphémère qui s’était installé à la Cité de la Mode et du Design en 2014. L’année suivante, c’est au dépôt SNCF de La Chapelle qu’il s’était posé. Et était revenu cet été pour devenir Grand Train. Ce week-end, c’est donc sur un autre terrain de la SNCF, près de la Gare de Lyon, que Noël à Grand Verger s’est tenu. De quoi faire vivre durant quelques jours un lieu inexploité habituellement grâce aux chalets et animations. « C’est un projet presque social: on veut recréer du lien dans un lieu qui est fermé à la base » explique Marie Auger, chargée de communication de Ground Control.

Le Bon Coin, Grand Train – Paris

Le public était d’ailleurs au rendez-vous des précédents événements. Pendant les 22 semaines qu’a duré Grand Train, quelque 400.000 visiteurs sont venus découvrir ce lieu où 20 anciennes locomotives étaient notamment exposées. Grand Train, c’est aussi 25.000 fans sur Facebook et 12.440 photos sur Instagram. Une entreprise nommée Allo La Lune a d’ailleurs été créée pour gérer l’exploitation de Ground Control. Pour de tels événements éphémères, leurs sources de rémunération sont multiples: les exposants et la programmation mais surtout le bar. Pourquoi ce choix de l’éphémère? « On fait de l’éphémère car on se considère comme des activistes événementiels » explique Marie Auger.

« Plus c’est éphémère, plus il faut être créatif »

Boîte à chaussures – Pop-Up Store, Adidas

L’événementiel, c’est aussi la spécialité de Surprize. Cette société est spécialisée dans les événements autour de la musique électronique. On lui doit notamment le Weather Festival et d’avoir transformé la gare Saint-Lazare en lieu festif le temps d’une nuit. Ainsi que la Friche Richard Lenoir. Objectif: en faire un espace à destination du grand public et l’intégrer dans le quartier. Tout ça, en sachant qu’il disparaîtrait quelques semaines plus tard. Et en partant d’une friche, donc… de rien. « On est parti d’un tas de cailloux. Notre créativité, c’est notre force », affirme Aurélien Dubois, président de Surprize. Et pour lui, la Friche Richard Lenoir était surtout l’occasion de montrer leur savoir faire: « On est arrivé à l’équilibre financier mais l’idée était de montrer ce qu’on sait faire. »

Comment expliquer cette multiplication des événements éphémères? « L’éphémère crée une attente du consommateur mais encore faut-il avoir un contenu intéressant », estime Aurélien Dubois. Et de poursuivre: « Plus c’est éphémère, plus il faut être créatif. » Cet attrait du consommateur pour l’éphémère n’est pas passé inaperçu du côté des marques et des enseignes. Les pop-up stores (pop-up pour expliquer que ces boutiques apparaissent et disparaissent dans la foulée) fleurissent dans les rues. Notamment les pop-up stores de luxe.

« C’est un phénomène qui est venu des Etats-Unis et qui se développe depuis trois, quatre ans en Europe » explique Christel de Lassus, responsable du master Innovation, design et luxe à l’université Paris-Est Marne La Vallée-IAE Gustave Eiffel. « Les pop-up stores permettent aux marques de sortir du côté figé de la boutique classique. Ils répondent à l’attente du consommateur, non seulement d’être surpris mais apporte un côté ludique et joue sur les émotions en fonction de leur mise en scène. Enfin, ces boutiques éphémères apportent un côté édition limitée avec la pression temporelle, elles sont éphémères, et en jouant sur le côté exclusif des produits proposés. »

Les pop-up stores sont donc une stratégie marketing complète qui propose une expérience émotionnelle aux clients et touche notamment les millennials. Et qui offrent aux marques des retombées en termes de ventes et de viralité sur les réseaux sociaux. « Mais la question de l’e-réputation est aussi un risque pour la marque si les clients n’aiment pas le pop-up store », précise Christel de Lassus. « Et il faut prendre en compte les coûts supplémentaires. » Reste que ce phénomène des boutiques éphémères est désormais pris en compte dans des univers plus classiques comme les centres commerciaux ou Le Bon Marché qui réserve des espaces pour des pop-up stores.

Centre Commercial IKEA, Bayonne

« Démocratiser l’accès à l’immobilier commercial »

Cette prolifération des pop-up stores s’est aussi accompagnée d’un foisonnement de plateformes proposant justement de louer des espaces de manière éphémère. C’est le cas de StoreFront. StoreFront, selon son PDG Mohamed Haouache, est « le leader mondial » de la location d’espaces pour créer des boutiques éphémères. Le leader mondial depuis septembre lorsque PopUp Immo, la plateforme créée par Mohamed Haouache et Adrien Kerbrat, a fusionné avec leur concurrent américain. La plateforme, présente aux Etats-Unis mais aussi à Paris, Londres, Amsterdam ou encore Hong Kong met en relation des marques avec des propriétaires pour de la location éphémère. « On est le Airbnb du retail » estime Mohamed Haouache qui veut « démocratiser l’accès à l’immobilier commercial ».

Créée en 2014, PopUp Immo a rencontré un rapide succès  auprès des marques. « Ça m’a surpris car le concept a séduit autant les grandes marques comme L’Oréal que les marques inconnues », reconnaît Mohamed Haouache. Et de citer un exemple de projet: toute une rue parisienne en rue belge à l’aide de boutiques éphémères.

Rue Belge faite de Pop-Up Stores par Storefront, en plein Paris

Un succès qu’il explique pour plusieurs raisons: « l’éphémère est dans l’air du temps car le consommateur s’ennuie, il a besoin d’être surpris. Et le retail est malade car l’e-commerce concurrence le commerce physique. Enfin, les propriétaires ont du mal à trouver des locataires. » Parmi leurs clients, des marques de prêt-à-porter, du luxe mais aussi des sites de e-commerce qui veulent aller physiquement à la rencontre de leurs clients ainsi que des start-up. Et 25% à 30% sont des clients récurrents.

Présent dans plusieurs pays, StoreFront doit s’adapter aux spécificités légales de chacun d’entre eux. Côté rémunération, la plateforme touche une commission de 20% (incluse dans le prix affiché en ligne) et la transaction s’effectue directement sur StoreFront. Si Mohamed Haouache ne veut pas communiquer leur chiffre d’affaires, il précise qu’ils ont « une croissance de 300% à 400% par an » et qu’ils sont « à l’équilibre ».

Redynamiser les centres-villes

Pop Up Store – HermèsMatic, Bordeaux

Mais les boutiques éphémères ne sont pas seulement une opportunité pour les marques et enseignes ou ces plateformes de location: elles sont aussi une solution pour redynamiser les centres-villes. De cela, Lucie Ngongo Aubertin, responsable de mission de la Fédération nationale des centres-villes, en est persuadée. L’association, plus connue sous le nom des Vitrines de France, vient d’ailleurs de lancer le site jeloueuneboutique.com pour faire le lien entre loueurs et locataires potentiels.

« Il y a aujourd’hui environ 8% de vacance commerciale dans les centres-villes » précise Lucie Ngongo Aubertin. Si le chiffre reste une moyenne, la situation diffère d’une ville à l’autre, le constat est là: il y a une tendance à la désertification des centres-villes. Les Vitrines de France compte donc s’appuyer sur son réseau pour favoriser les locations éphémères, autant dans les grandes villes que dans les villes moyennes ou les petites villes. Et pourquoi les pop-up stores ne seraient-ils pas un point d’entrée sur le territoire français pour les marques étrangères?

Si Lucie Ngongo Aubertin avoue que les Vitrines de France, avec ce site, surfe sur la tendance, elle reste convaincue d’une chose: « C’est un phénomène grandissant. Je pense que l’on en est qu’au début. » Une opinion que partagent tous les acteurs du secteur.

Source: Challenges

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